Banda, mon frère inconnu d’Espagne,

De Pierre KUETEMINGA Kolm Tshoja.

 

Kinshasa, kin-maLeBo, Lipopo, Léo-viLLe

Mbala, Mbala Mbala
Nge kuenda Kinshasa, Mbala Nge mona ntu-ntu-ntu, Mbala Nge mona minda Mbala Nge mona bishikileta Mbala…“

Luambo Franco (1961)

Que se passe-t-il dans la tête d‘un petit garçon de neuf ans qui débarque en 1946 à Léo, la capitale du Congo belge, en provenance d‘un petit bourg semi-rural du nom de Mweka ? Quelles sont ses impressions les plus fortes ? Quelles sont les questions qu‘il se pose ?

Le débarquement s‘est passé sans incident particulier. La présence de tatu mukaji Véronique suffit à éviter toute complication à Banda et à ses trois compagnons de voyage. Les bagages rassemblés, dans la cour, sous la garde de ses quatre neveux, la tante sort pour héler un taxi qui conduira son petit monde au n°14, rue INGENDE, dans la Commune de Ngiri-Ngiri. La ville ne compte que six communes : St Jean (lingwala), St Paul (Barumbu), Léopoldville (Gombe), Léo II (Kintambo), Kalamu et la dernière née Dendale (Kasa-vubu), appelée aussi Nouvelle-Cité ou « Mboka ya Sika ». En réalité, à cette époque (1946), il s’agit de cités indigènes et non de communes. Seules les agglomérations habitées par les Blancs jouissent du statut de communes urbaines ; c’est le cas de Léo II, de Kalina, de Léo I et de N’dolo qui forment la partie nord de la ville tandis, que les noirs habitent la partie sud de la ville. C’est seulement en 1957 que ces cités seront dotées du statut de commune.

Léopoldville que les autochtones avaient surnomée “ Poto Moindo ” (“ L’Europe des Noirs ”).

C’est le branle-bas dans le voisinage, les gens accourent pour saluer tatu mukaji Véronique de retour du Kasaï. Les amies, les parents, les voisines et voisins, la foule remplit la parcelle et les questions fusent de toutes parts. Comment s’est passé le voyage ? Et le deuil ? Et le Papa, de quoi est-il mort ? Et la famille ? Et qui sont ces quatre garçons qui l’accompagnent ? Ses neveux ? Comment s’appellent-ils ?

Dans ce nouveau monde, Banda est complètement perdu ; plusieurs choses le dépassent et son esprit d’enfant découvre des énigmes qu’il n’ose exposer à personne et sur lesquelles il garde le silence. Ce sont ses handicaps…

Il y a d’abord la langue, moyen d’expression et de communication, qui constitue son premier handicap. À Port-Francqui et dans le bateau, il a fait ses premiers pas en lingala, la langue des Kinois. Il comprend un peu si on lui parle lentement. Mais quant à parler… C’est une autre paire de manches. Certes, il sait dire mbote (bonjour) ou nakeyi (au revoir) ou d’autres expressions courantes, mais il ne faut pas lui demander de tenir une conversation en lingala. Et puis, il découvre que les enfants de son âge parlent un « lingala » quelque peu di érent de celui des adultes : beaucoup de mots en argot et une prononciation particulière ! Mais Banda est doté d’une grande faculté d’adaptation et il lui su t de quelques trois mois pour surmonter le handicap de la langue. Il tient cela de son père, Papa Inoki, qui parle sept langues : bushong, tshiluba, kaniok, français, anglais, munu kutuba et lingala…

Il faut dire que Banda ne s’en tire pas trop mal en lingala, par rapport à ses camarades de voyage et qui habitent avec lui.

Ensuite, le macadam ou l’asphalte ne cesse de l’impressionner ! Une route dure et lisse ! Avec

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Léopoldville et ses rues en macadam

quelle matière la fabrique-t-on ? Il n’a pas cessé de palper cette matière inconnue depuis le Port de l’OTRACO. Il a emprunté l’avenue Prince Baudouin (Avenue Kasa-vubu), et il n’arrête de se poser des questions. Rien de tel à Mweka, ni à Port-Francqui.

Il est e rayé par le nombre de véhicules en circulation. Au début, il croit à une course automobile, à cause de la fréquence et de la variété des voitures et des camions sur les artères. À Mweka aussi, il existe des véhicules, mais pas en aussi grand nombre. Et quelle vitesse !

L’eau courante, quelle énigme ! Il su t de tourner un robinet et de placer un récipient en dessous et l’on a de l’eau pour tout usage et en quantité inépuisable. Finies les longues marches à pieds vers la rivière pour se baigner, lessiver et ramener de l’eau à la maison comme il le faisait à Mweka.

À Léo : bain, lessive, eau de ménage, tout est à portée de la main. C’est au coin de la rue. Mais une question ne cesse de le troubler : par quel mécanisme mystérieux l’eau se déplace-t-elle de la rivière jusqu’en ville ? Et comment peut-elle rester immobilisée dans ce tuyau métallique, alors qu’elle doit normalement couler ? Qui pourra expliquer au petit garçon le mystère de l’eau au robinet ?

Un autre mystère trouble encore l’esprit du petit Banda. C’est la lampe électrique, cette lumière éblouissante, qui n’existe pas à Mweka ! Par quelle magie, s’allume-t-elle et s’éteint-elle ? Et sans fumée avec ça ! Il passe des heures entières à observer et à chercher la réponse à ses questions. Le handicap de la langue l’empêche d’interroger son entourage. Il se dit : Si mon père et ma mère pouvaient venir voir ce que je vois… Mais un jour, il saura, il pourra pénétrer les mystères de la civilisation des Blancs. Les lampes électriques sont disséminées le long des avenues principales et les gens peuvent circuler toute la nuit.

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